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Êta Carinaé

L'enfer des immortels

Extrait : 

Retirant la capuche qui recouvrait ma tête, je laissais la pluie détremper mes cheveux, dont la pointe mouillée frisait plus qu’à l’ordinaire. Le clapotis de l’eau sur mon imperméable, m’empêchait de me concentrer sur les bruits de la rue que nous étions en train de remonter.

Levant mon regard sur ma gauche, je refermais instinctivement mes paupières, pour ne pas recevoir dans les yeux les grosses gouttes tièdes de cet orage de printemps.

Le haut immeuble semblait inoccupé, les vitres brisées et les graffitis qui recouvraient les murs le rendaient franchement lugubre.

Mais cela n’avait pas d’importance, ce n’était pas là le point fixé pour notre rendez-vous.

Tout en continuant de marcher, je défaisais le bandage qui enveloppait ma main droite, libérant la pierre âme qui se trouvait au centre de ma paume. Le cristal, aussi clair que de l’eau de source, était enclin à une forte agitation. Le mouvement perpétuel qui l’animait était matérialisé par le déplacement de fines paillettes argentées, qui apparaissaient puis disparaissaient au grès des courants. Tant mieux, c’était la preuve qu’elle regorgeait de manas. Au cas où il me faudrait combattre, je voulais pouvoir compter sur la magie…

  • C’est ici ! Lança mon père, qui marchait à ma gauche.

Nous nous arrêtâmes un instant. Je suivis son regard, qui me conduisit à une vieille plaque, ou l’on pouvait encore lire « Impasse du soleil », malgré les tags à la peinture noire.

  • Vous êtes sûr que vous voulez entrer dans cette ruelle ? Demanda Axel, dont on ne distinguait plus que le bout du nez sous la capuche de son anorak trop grand pour lui. 

  • On en a déjà discuté à plusieurs reprises, il faut y aller !

Tout en disant ces mots, je m’engageais dans la sombre impasse, qui semblait totalement déserte. Avançant d’un pas décidé, j’enjambais un sac poubelle noir, à moitié éventré au milieu de la chaussée. Il laissait échapper des papiers d’emballages et quelques boites de conserves de sa déchirure béante, pareil à une bête éviscérée par la roue d’un véhicule.

Mon père et Axel pressèrent le pas, pour se porter à ma hauteur. Leur consigne était claire, ils devaient m’escorter pour parer à tout danger. Merlin le leur avait plusieurs fois recommandé avant notre départ. 

A nouveau, je lançais un regard aux immeubles environnants. Depuis que nous avions tourné dans l’impasse, j’avais une étrange impression, celle d’être observé. Mais je n’avais pas peur. J’avais pris confiance en mes pouvoirs et la puissance magique que je sentais bouillonner au creux de ma main, me donnait une grisante impression d’invulnérabilité.

Axel recula sa capuche, qui gênait sa vue. J’en profitais pour jeter un œil sur l’expression de son visage, qui laissait transparaître sa peur. Pourtant il était censé être l’un des Chevaliers Mondes chargé de ma sécurité. Mais vu qu’il mesurait une tête de moins que moi et qu’il était incapable d’user de la moindre magie, je ne comptais pas vraiment sur lui pour m’aider en cas de danger.

J’aperçu l’escalier qui se faufilait entre les deux immeubles délabrés pour descendre vers la rivière toute proche, dont les berges se trouvaient plusieurs mètres en contrebas. Tout était conforme au message, qui la veille nous avait fixé ce rendez-vous au bord du fleuve, à 16 heures précises.

Tout avait commencé par cet étrange courrier électronique, reçu sur la messagerie de mon père, dont l’objet comportait un appel à l’aide en langue Elfique. Le reste du message, écrit en bon Français, restait très énigmatique :

« Je sais qui vous êtes, les elfes vous nomment Stealmoundal, le veilleur des mondes. Je vous en prie, venez-moi en aide ! Je vous attendrais au bout de l’impasse du soleil, au bas de l’escalier près du fleuve, demain à 16 heures précises.

Vous êtes mon dernier espoir, c’est pour moi une question de vie ou de mort ! »

Comment l’auteur du message avait-il pu nous retrouver, alors que le livre écrit par mon père, un an plus tôt, ne comportait aucun nom, aucune adresse ou localité qui permette de nous identifier ou même de nous situer dans l’hexagone. Mais ce n’était pas là le point qui m’avait incité à me rendre à ce rendez-vous. Non, ce qui m’avais le plus intrigué était les quelques mots en elfique, dans l’objet du message. En effet, même si cette langue ne s’écrivait pas - les elfes n’utilisant jamais l’écriture du fait de leur mémoire surdéveloppée - elle était phonétiquement très correctement exprimée dans ce message.

Il fallait que je sache qui était encore capable dans notre monde de parler, ou plutôt d’écrire, cette langue disparue depuis des milliers d’années.

Originaire d’Alpha du Centaure, une planète n’appartenant même pas à notre système solaire, j’étais le seul à pouvoir franchir les anciennes portes entre les mondes… A moins que…

C’était totalement incompréhensible !

Je m’étais empressé de demander conseil à Merlin, le plus ancien des Chevaliers Mondes. Grâce au cristal de Tyliotrope qu’il avait confié à chacun d’entre nous et qui nous permettait de communiquer à travers l’univers, je l’avais contacté.

Peut-être parce que je l’avais réveillé au beau milieu de la nuit ou parce que lui aussi était très intrigué par ce message, il était resté un long moment sans me donner la moindre réponse, avant de s’opposer à ce que j’aille à ce rendez-vous. Il avait envisagé de me faire ouvrir les portes entre les mondes de toute urgence, pour permettre à tous les Chevaliers Mondes de me rejoindre sur Terre. Mais compte tenu du délai très court qui nous était octroyé, j’avais réussi à le convaincre de nous laisser y aller tous les deux, juste Axel et moi.

Puisque Merlin prétendait qu’il était le plus puissant des six Chevaliers Mondes, l’héritier d’Argilas l’ultime guerrier, je m’étais servi de cet argument pour le convaincre que nous ne courions aucun danger. Mon père avait cependant tenu à nous accompagner, même s’il n’était pas l’un des six gardiens chargés de ma sécurité, son expérience et surtout son véhicule pouvaient nous être utile.

J’avoue que j’éprouvais beaucoup de difficultés à me mettre dans la peau du veilleur des mondes, depuis cette folle aventure qui m’avait amenée un an et demi plus tôt sur Alpha du Centaure. J’avais reçu de Stealmoundal lui-même, le pouvoir de rouvrir les portes entre les mondes. Mais je n’avais toujours pas réalisé l’étendue de mes responsabilités.

De plus l’aventure me manquait, ici sur Terre. Alors que les autres Chevaliers passaient leurs journées à suivre l’entraînement intensif prodigué par Merlin, Axel et moi poursuivions notre vie monotone et sans relief de jeunes terriens, bien loin des entraînements poussés au maniement des armes et à l’usage de la magie que suivaient nos compagnons d’alpha du Centaure. Même Quiranord, le Chevalier Atlante, avait eu comme consigne de parfaire son entraînement au combat, ce qu’il faisait quotidiennement avec l’aide d’un maître d’arme de son monde.

Aussi, cette occasion de sortir de notre train-train quotidien, avait été comme un rayon de soleil dans ma grisaille quotidienne, enfin il allait se passer quelque chose.

Pour Axel c’était un peu différent, il n’avait pas vraiment apprécié le rôle qui lui avait été attribué. En effet, il n’avait hérité d’aucun pouvoir, d’aucune arme susceptible de lui donner un quelconque avantage en cas de danger.

Depuis que nous étions revenus d’Alpha du centaure, il était resté distant, ne venait que rarement me rendre visite et ce jour-là il avait fallu que Merlin lui ordonne de m’accompagner pour qu’il admette de nous suivre.

Même si nous étions mieux acceptés par nos camarades de classe ces derniers temps, il gardait une certaine amertume à mon égard. Je pense qu’il me tenait pour responsable de ce qui lui était arrivé sur alpha du centaure.

Alors qu’avant cela nous étions les meilleurs amis du monde, depuis notre retour, nos rapports avaient énormément évolués. Ses parents qui ne voulaient pas qu’il me fréquente, étaient arrivés à le convaincre de ne plus me rendre visite. C’était pour cette raison qu’il avait dû inventer un mensonge de façon à pouvoir nous accompagner à ce rendez-vous. 

 

Alors que nous avions à peine descendu la moitié des marches, mon sixième sens m’avertit d’un danger. Aussitôt je m’arrêtais, prêt à parer à toute éventualité.

Le sixième sens comme la mémorisation rapide était l’un des avantages octroyés par la potion de grand éveil que m’avaient autorisé à boire les Elfes de Bernn, en m’accueillant comme l’un des leurs. Grâce à elle, j’avais pu apprendre en seulement cinq jours à parler la langue Elfique et j’avais désormais la possibilité de faire de la magie ainsi que de ressentir un danger imminent.

Axel qui avait eu lui aussi droit à une potion de grand éveil, de moindre qualité car concoctée par les prêtres d’Ys, s’arrêta à son tour, après avoir fait un pas ou deux supplémentaires. Mon père quant à lui, qui était en train d’essuyer ses lunettes couvertes de gouttes de pluie, me percuta violemment, avant de s’arrêter à son tour.

  • Que se passe-t-il ? Demanda-t-il en remettant avec empressement ses lunettes à moitié essuyées sur son nez.

Des pas précipités retentissaient sur le bitume, tout en haut des escaliers que nous étions en train de descendre.

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